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  • Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Récupérer le progrès : 8. Archi <3 Géo

Dernière mise à jour : 4 nov. 2019


Tournon-sur-Rhone, différence entre l'architecture traditionnelle mixte de la vallée en pan de bois enduit, pierre (et peut-être terre?), et l'architecture du plateau situé à cinq kilomètres, en maçonnerie

 

J'ai parcouru la Suède en bus. De ma fenêtre, il m'a semblé que le paysage défilait à la manière d'un décors peint sur rouleau, comme dans un clip des années soixante. Des maisons rouges, des sapins, des lacs, des élans, d’autres maisons rouges, et ainsi de suite de Lund à Umeà.

Faite la même expérience en France, et le résultat est très différent, même avec un regard aussi caricatural que le mien. Corrélés avec les terroirs agricoles, les paysages changent tous les cinquante kilomètres environ. Avec eux bien souvent, l’architecture évolue selon la spécificité du climat et des ressources locales.

En refaisant mentalement les 180km qui séparaient les maisons de mes grands-parents, je peux identifier au moins trois entités géographiques différentes (coteaux continentaux en Côte d’Or, plaine marécageuse en Bresse, Marche des alpes dans la région de Lyon), trois types de matériaux (pierre de comblanchien à Dijon, pisé en Bresse, multiplicité de matériaux à Lyon (pierre, bois, terre)), avec pour chacune d’entre elles, une manière différente d’habiter le territoire.


Dans le cas de la région de Dijon il s’agit de faire face à la rigueur du climat continental. Les rues les plus anciennes de la ville sont resserrées pour profiter de l’inertie de bâtiments aux murs épais en été comme en hiver, on trouve de nombreux hôtels particuliers donnant sur cour et préservant la fraicheur l’été, protégeant du vent l’hiver.

En Bresse, la topographie s’aplanit. Les sols humides et le manque de pierre ont donné naissance aux maisons bressanes en pisé. Le matériau nécessitant d’être protégé du vent et de la pluie, les constructeurs traditionnels ont décollé les murs du sol, prolongé les bords de toiture en y incluant des espaces de séchage agricole.

Les cheminées sarrasines résultent du même type de processus de conception. Aux étages, on distingue souvent des espaces extérieurs au sec, servant de loggias ou d’espaces annexes pour le séchage ou le stockage des récoltes.


La région de Lyon est quant à elle très diverse : de part sa géographie, le fait qu’elle soit une zone de transit commercial depuis des centaines d’années. On y trouve différentes manières d’habiter : en pente ou près des bords de fleuve, etc.

Ces architectures ont en commun d’avoir été réalisées à des époques ou l’énergie utilisée pour la construction (l’énergie humaine, animale) «coûtait» beaucoup plus chère qu’aujourd’hui. Comme on l’a vu, les matériaux étaient le plus souvent produit localement pour limiter le coût de leur transport, ce qui obligeait à une forme de sobriété.

On pourrait continuer comme cela tout au long de la vallée du Rhône ou établir les mêmes parallèles ailleurs en France.


Je concède que par rigueur scientifique, il faudrait réaliser la comparaison avec trois typologies de bâtiments identiques. On pourrait également rentrer plus avant dans les techniques constructives pour décortiquer toute l’ingéniosité de chacune. Le propos reste le même: les paysages en France sont très riches, les habitants de toutes les époques s’y sont adaptés de manière ingénieuse.


En réintfiltrant la notion de localité en architecture, ne pourrait-on pas parler de terroirs architecturaux? Je voudrais introduire par là la notion de patrimoine, non pas pour les objets "maisons" ou "fermes" en tant que tels, mais pour l'intelligence qui sous tend leur construction, l'ancrage climatique, constructif et écologique sur mil terrains différents. Il s'agit d'un héritage, au sens où le travail humain produit un forme de symbiose avec le paysage, et sémantique, qu'il convient de comprendre pour transposer au présent. Autrement dit, ce n'est pas l'aspect pittoresque des vieux villages qui m'interesse mais leurs capacités d'absorbtion des contraintes naturelles, pour les transformer en "art de vivre". Les traditions n'ont que le sens qu'elles apportent au présent.


Il est essentiel de comprendre que le monde qui a créé ces architectures n’existe plus. Il s’est transformé par l’industrialisation, éteint par les échanges internationaux, la modernité, la culture du toujours moins cher.


Il existe cependant une rémanence de ces modes opératoires dans les régions où les vagues d’industrialisation ont été les plus faibles. Par ailleurs, il faut prendre en compte les initiatives contemporaines pour réinvestir ces savoirs faire, à titre non exhaustif, l’association CRAterre dans la région de Grenoble, ou encore Maisons Paysannes de France. La beauté de ce type de démarche réside dans la multiplicité des approches et des solutions proposées, capables de s’adapter finement à un site donné, avec comme particularité commune de relocaliser la production du bâtiment.


Au cas par cas, créer une architecture de terroir consisterait à comprendre les stratégies spatiales, climatiques et constructives traditionnelles d’un territoire, et en déduire leur pertinence dans le monde contemporain : Les matériaux sont ils encore produits ou productibles dans un système industrialisé? L’agriculture, le climat ont-ils, et surtout, vont-ils changer? Quelle population habite maintenant le territoire? etc.

Le travail de recherche nécessaire pourrait être effectué avec l'aide d'initiatives citoyennes ou associatives, et centralisé par le biais de différentes maitrises d'ouvrage publiques. Les connaissances seraient ensuite mises à la disposition des maîtrises d’œuvre dans les concours et les appels d’offres, tout en encourageant le recours aux filières locales.


Après tout, certaines régions plus chauvines que d’autres n’ont aucun mal aujourd’hui à faire travailler en priorité les entreprises régionales malgré les réglementations européennes, pourquoi ne pas aller un pas plus loin et inclure une demande écologique?


Il n’est sans doute pas envisageable de localiser l’intégralité de la production de matériaux. Pour des raisons d’économies d’échelle, il vaut sans doute mieux dans certains cas avoir une grosse usine centrale très optimisée, que vingt-cinq petites consommant plus d’énergie et gérant moins bien la pollution, comme par exemple dans le cas des hauts fourneaux (1).

Cependant, ce phénomène ne s’applique probablement pas aux matériaux biosourcés (+pierre) qui ne demandent que peut de transformation. Leur utilisation à proximité de leur lieu d’extraction économiserai énormément de pollution liée aux transports.


SUITE :

 

Bihouix, Philippe, «l’âge des low tech»,Editions Anthropocène Seuil, Paris, 2014

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