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  • Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Rapport «Roux-Dantec», quand les hyménoptères rejoignent les anarchistes : 3. Les paysages modernes


BENOIT, Philippe, schéma d'une ferme dans les années 50, dessin au feutre, 2019, Ile-de-France

 

Si un principe inspiré des biorégions offre un cadre compatible avec les préconisations du rapport, et facilement applicable au maillage territorial ancien, qu'en est-il des aires urbaines plus récentes?


Les rémanences des maillages territoriaux traditionnels incluent les habitats Humains. Dans la logique d'une prolongation de cette organisation à l'époque contemporaine, ils sont essentiels au système d'interdépendances aux paysages, au même titre que l'agriculture. Lorsque ce tissu urbain a été altéré par l'évolution de la ville, il faut pouvoir le recomposer avec ces modifications, réparer pour réutiliser.


Par ailleurs, certains maillages urbains n'ont connu que le XXe siècle, nés des déplacements rapides des humains et des biens, de la mondialisation. Ils ne possèdent donc, à priori, pas la même réversibilité que les maillages plus anciens. La superposition/juxtaposition des strates urbaines historiques et géographiques donnent lieu à une multitude de cas particuliers.


Comment, par exemple, introduire pour les tissus périurbains (pavillons + zones commerciales + zones industrielles) la possibilité de se réinventer sous forme de paysages productifs?


Leur disparité, selon leur période de construction, les classes sociales qui les habitent, leurs rapports aux centralités dont ils sont la périphérie, ou aux campagnes (1), implique à nouveau un raisonnement au cas par cas, selon le climat de leur géographie, et leur réalité locale. Ils disposent cependant d'un certain nombre de traits communs.


Conçus dès l'origine comme "agéographiques", ces espaces sont particulièrement fragiles face aux crises du dérèglement climatique, de part l’intensité de leurs besoins en transport, leurs connexions à l’économie mondialisée.


Cet urbanisme individualiste (individualiste n'est pas ici un jugement moral), est pensé comme tel pour, et grâce, au moteur à explosion. L'usage massif de la voiture, et par extension au transport routier, implique l'éloignement des espaces d'habitation, de travail et de loisirs, la séparation des espaces de vie, de production, et de consomation.


BENOIT, Philippe, schéma de la périurbanisation de la précédente ferme, dessin au feutre, 2019, Ile-de-France

 

Diminuer l'utilisation des véhicules en intégrant ces espaces à des systèmes d'interdépendances territoriaux plus locaux, constitue par conséquent l'occasion de réaliser l'objectif double du Sénat (2), de diminution des pollutions liées aux transports, et de résilience face aux déréglements climatiques.


Le sevrage progressif de la voiture entraine le besoin d'une réinvention de petites centralités intégrées à la géographie, d’espaces publics, une mutation qui va de pair avec les nombreuses qualités spatiales de ce type de tissu. Sa faible densité, sa position transitionnelle entre centres urbains denses et campagnes, la continuité écologique que forment ses jardins, sont autant de cartes en main pour développer des projets agricoles ou urbains.


Encourager la production alimentaire dans les quartiers pavillonaires par des politiques incitatives, créer des lieux d’échanges de semences agricoles ou de boutures, des espaces multifonctionnels de rencontre avec des associations autour du thème de l’agroécologie, en sont par exemple, des pistes.


Une évolution du cadre légal des Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) pour permettre les extensions (si possible verticales), et donc la cohabitation multigénérationelle, serait une manière de densifier ces zones.


Par ailleurs, leur forte végétalisation représente un atout face aux canicules, que l’on pourrait compléter en intégrant aux extensions verticales des systèmes spatiaux (architecturaux) de régulation non mécanisée du climat intérieur : pièces tampons climatiques, cheminées à vent, etc.


BENOIT, Philippe, schéma d'une projection possible d'une zone périurbaine intégrant une partie des dispositifs décrits dans le texte, dessin au feutre, 2019, Ile-de-France

 

Toutes ces transformations participeraient de l'adaptation de nombreuses communes aux changements à venir, tout en réduisant leur impact écologique. Comme dans le cas de l'agroécologie, elles ne peuvent être mises en oeuvre comme des abstractions sans lien les unes par rapport aux autres. Pour atteindre l'efficacité nécessaire, elles ont besoin d'un cadre idéologique systémique qui les relient à leur territoire.


Outro :


Le double objectif du rapport sénatorial (2) de diminution des GES et d'adaptation aux dérèglements climatiques déjà admis par la communauté scientifique pour l'horizon 2050, induit la possibilité de repenser notre modèle d'aménagement centralisé, et avec lui, la manière dont sont gérés les territoires.


Dans une méthodologie considérant les terroirs comme de petits regroupements de paysages habités, correspondant à une réalité climatique, géographique et culturelle, le point de départ de toute politique devient la localité et par conséquent, les gens qui l’habitent, la fabriquent et l’entretiennent. La richesse de ces terroirs diversifie par là même le risque climatique, (soit de ne pas mettre "tous les oeufs dans le même panier" (2)).


Cette organisation (interdépendante, écologique, symbiotique) gomme le clivage traditionnel entre monde humain et nature, pour former un système autoreproductible, devenant dès lors une nouvelle forme de patrimoine à transmettre de génération en génération (3), justifiée par son utilité publique, et sa nécessité de pérénité.


La patrimonialisation de ces systèmes pourrait d'ailleurs être l'un des supports de nouvelles formes de gouvernances territoriales, dans la mesure où elle représenterait des servitudes d'utilités publiques, et par conséquent, une limitation du droit de propriété au profit du plus grand nombre. Dans cette idée, on imagine volontiers une gestion démocratique locale par ceux qui vivent de ces mécanismes complexes .


Je m’interroge également sur le rôle des experts dans le processus d’adaptation aux dérèglements climatiques. Si les compétences des universitaires, ou de manière générale, des professions ultra-spécialisées sont bien évidement nécessaires, souhaitables, elles doivent être capables de se confronter au terrain, et de jouer un rôle d’accompagnement des différents projets, plutôt que de se positionner en décideurs à distance. C’est en tout cas l’un des moyens d’éviter la récupération de cette tentative par le modèle économique dominant, en garantissant à chaque étape une dose de transdiciplinarité salvatrice.


Il ne s'agit cependant pas, pour moi, de reprendre le projet biorégionaliste de manière dogmatique, mais de s'en inspirer en restant critique. Comment "garantir" que les votes ne prennent pas une direction court-termiste dans la résolution de problématiques, comme cela peut l'être aujourd'hui, dans le cadre de l'attribution de certains permis de construire? L'idée fera peut-être l'objet d'un autre article.


Des expérimentations n'ayant d'autre liens apparent avec le-dit mouvement que le résultat, existent. Par exemple la passionante expérimentation l'association bretonne BRUDED (4), dans laquelle plus de 150 communes échanges des savoir-faire sur la maitrise d'ouvrage de projets écologiques et locaux. Néanmoins à ce stade, elle ne semble pas avoir complètement englobés les questions de terroirs paysagers, et de démocratie participative locale. Le résultat n'en reste pas moins exemplaire.


Il est temps pour les territoires de reprendre un rôle significatif. De ne plus exister que comme des étendues que l’on traverse, mais comme des lieux vivants, investis par l’enracinement culturel, émotionnel, vecteurs d’adaptation et d’émancipation.

 

(1) Marchal, Hervé, Stébé, Jean-Marc, "La France périurbaine", Que sais-je?, 2018, Paris


(2) Dantec, Ronan, Roux, Jean-Yves «Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, par MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, Sénateurs», Sénat, 2019, www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-511-notice.html


(3) Version personelle du concept de Magnaghi, Alberto, "La biorégion urbaine, petit traité sur le territoire comme bien commun", Eterotopia France / Rhizome, 2014, Paris


(4) BRUDED : www.bruded.fr

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