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Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Récupérer le progrès : 1. Chaos organisé

Dernière mise à jour : 4 nov. 2019


"Paris smart city 2050", Vincent Caillebaud Architecture, ou la mise au vert du marché

 

La «transition écologique» si souvent invoquée peine à prendre consistance, malgré plusieurs tentatives de réglementation. Entre autres causes, un portage politique cherchant à ménager l'équilibre de l'économie. Dans cette logique, les entreprises d'envergure internationales tendent à adapter les enjeux climatiques aux rouages existants du système marchand, avec plus ou moins d’efficience.

Elles se positionnent en solutions à un problème qu’elles ont elles mêmes largement participé à créer, en proposant pour cela des produits dits «innovants»: isolants, matériaux, robotique, domotique etc., connus dans l’imaginaire populaire sous l’étiquette de «nouvelles technologies». La démarche repose sur une fuite en avant technologique capable d’alimenter sans relache le Marché en nouveautés, dont l’impact écologique reste incertain pour la plupart.


La réglementation dans le Bâtiment a tardé à prendre en compte l’intégralité des cycles de vie de ces matériaux/produits, c’est à dire à prendre en considération la totalité de leurs nuisances potentielles sur l’environnement depuis l’extraction des matières premières jusqu’à leur fin de vie, sous forme de recyclage ou de déchet.


La législation en vigueur (RT2012) ne prend en compte que la consommation énergétique du bâtiment pendant son exploitation. La législation à paraître, RE2020 intégrera la notion de cycle de vie sur la base de l’expérimentation menée depuis 2016 d’E+C- (comprendre Energie + Carbone -). Reste cependant à voir quel niveau de référence sera utilisé pour cette réglementation.


Les normes, comme le développement de nouveaux produits industriels sont rendus possible par un panel de spécialistes, capables de produire une vision technique très poussée, mais qui reste bien souvent inaccessible, et donc inappropriable, aux profanes.

Ce mode de fonctionnement est en partie hérité de la division du travail de l’univers industriel, dans lequel chaque maillon de la chaine n’exécute qu’une tâche spécifique sans que personne n’ait de vision synthétique de l’ensemble des composantes d’un projet : technique, mais aussi sociales, politiques, poétiques.

Les architectes, figures de proue de l'imaginaire de la construction, se situent pourtant plutôt en bout de chaine du développement d’un bâtiment. Ils doivent composer d’une part avec les produits industriels finis, et d’autre part avec une réglementation contraignante, tendant a orienter les choix de projet vers des solutions industrielles homologuées tout en bridant les possibilités de création. Leur marge de manœuvre est donc faible, et se réduit de plus en plus, ce qui est regrettable pour une profession faisant la combinaison entre de nombreux domaines de compétences.

Une agence d’architecture est une structure (dans bien des cas), peu rentable en comparaison des bureaux d’études technique. Sans entrer dans le détail des raisons qui nous permettent d’affirmer cela (forte concurrence, impossibilité de systématiser les dessins, etc.), il est clair que le temps de recherche nécessaire à chaque projet rende le processus de conception de ce métier plus proche d’une profession artistique, que d’une conception type design industriel.


Le point d’équilibre économique étant difficile à maintenir, les agences évitent dans la plupart des cas de sortir de leur méthodologie habituelle. Dédier de nombreuses heures à repenser l’intégralité d'un processus de conception, pour le rendre plus performant en termes d’écologie, les mettraient en difficulté financière, en eussent-elles seulement l’envie.

La force des habitudes, (c’est à dire, le fait qu’il semble toujours plus difficile de revenir en arrière une fois qu’une décision à été prise quand bien même d’autres solutions seraient envisageables), les intérêts individuels, l’inertie des sociétés, et sans doute beaucoup d’autres raisons, plaident plutôt pour une adaptation du modèle libéral à la prise en compte du facteur climatique sans que ses principes fondateurs soient remis en cause.


Il s’agirait pourtant de considérer un changement plus radical pour éviter les pires travers des estimations du GIEC ou d’autres scientifiques travaillant sur la question. De fait, le besoin de mouvement, de fuite en avant économique, que nécessitent les sociétés modernes pour se maintenir est incompatible avec une diminution des émissions de GES.


Pour conserver un niveau de croissance constant il est nécessaire de s'appuyer sur un ratio énergie nécessaire pour l’extraction/quantité extraite (mesurée en Tonne Équivalent Pétrole (T.E.P) on nomme ce rapport Taux de Retour Energétique (TRE ou EROEI en anglais)) hors de portée des énergies renouvelables, et insoutenable pour les energies fossiles dont les réserves sont de plus en plus difficiles à atteindre (perturbant ainsi le ratio précedement cité) (1). Les métaux rares, denrées disponibles en quantité finies, essentielles à la fabrication des dispositifs de conversion des énergies "naturelles" (panneaux solaires, éoliennes, etc.), dépendent du même mécanisme. Leur recyclage est également compliqué par la nature composite des objets qu'ils fabriquent.


Tableau du Taux de Retour Energétique comparé exprimé selon différentes méthodes de calcul en TEP. Source AspoItalia (2), rapporté par wikipédia.org

 

L’adaptation donc, plutôt que l’évolution drastique. Motivée par une croyance inquestionnable dans le progrès technologique pour rendre la filière vertueuse, pire, comme espace quasi exclusif de prospective pour l’architecture et la ville. Pourtant nous en savons déjà beaucoup en termes d’architecture, d’aménagement du territoire, décarboné. Il nous faut nous approprier la lutte contre les dérèglements climatiques, comme une source de créativité, débarrassée du carcan de la croyance, et du «green washing».


L’être Humain a vécu pendant la totalité de son temps dans un monde n’émettant que peu de gaz à effets de serre (ou presque), exception faite du dernier siècle et demi. La pollution est aussi vieille que les villes, mais elle est toujours restée organique et localisée jusqu’au milieu du XIXe siècle. Il est possible et envisageable de reprendre une partie de ces savoirs pour en prolonger les aspects les plus intéressants dans la modernité, tout en les complétant par les technologies éprouvées en cours de route?


SUITE :

 

(1) cf. Court, Victor, "La dure loi de l’Eroi : l’énergie va devenir plus rare et plus chère", Octobre 2017, reporterre.net


(2) Bardi, Ugo, "IL CONTO IN BANCA DELL’ENERGIA: IL RITORNO ENERGETICO SULL’INVESTIMENTO ENERGETICO (EROEI)", 2005, http://www.aspoitalia.it. Note : les données datent de 2005 et ont probablement évoluées pour les énergies renouvelables

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