Slabynck, Sammy, "collage", sur leblogdukitsch.com
C’est au fond un peu un constat d’échec de notre époque : lorsque tous invoquent le progrès, le projet fait défaut. Nous ne savons pas mieux faire que d’insérer de la technologie, pris que nous sommes dans une fuite en avant, une accélération croissante, jusqu'à quand? Les villes pourtant, se développent à des temporalités différentes de celle du Marché. Elles semblent suivre des cycles plus long, créant un décalage entre le monde de l’accélération électronique, et la lenteur de la construction, de la sédimentation culturelle et urbaine. Différentes échelles de temps, mais aussi d’espace.
L’arrivée somme toute récente du numérique dans la vie de chacun à bouleversé notre rapport au monde.
Il a engendré à la fois un repli des individus du corps vers le cérébral en même temps qu’une annulation des distances. Nous vivons un rapport à l’espace inédit, extrême, simultanément mental et intercontinental, une rupture des échelles entre ce qui est trop grand et trop petit. L’Humain habite dans ce qui lui était jusque là imperceptible.
Lorsqu’elles sont appliquées à la ville, ces innovations technologiques posent également la problématique de l’échelle de perception humaine. Urbainement, elles prennent par exemple la forme de «smart grids» connectant des «smart buildings.
Il peut s’agir de réseaux électriques ou de collecte de data sur tout un quartier, tout une ville, permettant une adaptation en temps réel de la production d’énergie, etc. Ce type d’infrastructure, d’une part ne crée pas d’espace, d’autre part est imperceptible et donc éloigne les habitants de leur ville. La grande diversité des acteurs rend le processus complexe. Enfin, toujours plus de données data pose le problème de l’énergie nécessaire pour refroidir les immense serveurs de stockage.
Le modèle de sociétal n’est pas remis en question, mais simplement adapté/renforcé. Par ailleurs, que penser du renoncement à notre intimité, de la pénétration plus ou moins consentante de cette dernière par des entreprises privées qui disposent à volonté de la mesure de chacun de nos actes, et la monnayent selon leur bon vouloir?
Le raisonnement est comparable si l’on passe à l’échelle du Bâtiment, les interventions «techno-écolo» se cachent en toiture (panneaux photovoltaïques), ou en sous sol (pompes à chaleur, stockage en aquifère), ou encore dans l’épaisseur des isolants innovants de façade. Dans cette seconde échelle, si les économies d’énergies peuvent être bien réelles, il faut quand même interroger la place qu’il reste à l’habitant pour s’approprier ces outils, créer avec eux, les réparer, bref, rendre le bâtiment réellement durable, recyclable, et non pas juste consommable. Par ailleurs, comme on l’a déjà fait remarqué, les économies d’énergies considérées ne sont calculées que sur un modèle hypothétique, pendant la période de fonctionnement d’un bâtiment.
Cependant, on peut s’interroger sur la pérennité d’une isolation en polystyrène, faite à partir de pétrole, et qu’il faudra intégralement renouveler d’ici 20 ans. Que faire alors des déchets? Le coût énergétique et environnemental de l’opération aura-t-il été réellement positif? Sans même aborder les cas de mal façons où des bâtiments en fonctionnement depuis des siècles auront été ruinés en quelques années par une enveloppe les rendant étanches, et détruisant leur structure.
"life cycle design", greenandblue.org, schéma du processus de design expliquant les cycles de vie d'un matériau
Il faut cependant nuancer cette remarque. Le gouvernement français encourage depuis 2016 l’évaluation de l’impact écologique des matériaux de construction. Cette dernière s’effectue par l’analyse des Cycles de Vie des matériaux (ACV). Une base de données dématérialisée est disponible sur internet (1). Elle répertorie des Fiches de Développement Environnemental et Sanitaire (FDES), qui selon les mots du site permettent de mesurer «les consommations d’énergies, d’eau, les déchets produits, les pollutions et les gaz à effet de serre émis, et cela lors de leur fabrication, de leur transport, de leur utilisation et enfin lors de leur élimination ou de leur recyclage. C’est ce qui est réalisé lors de l’analyse du cycle de vie d’un produit (ACV). (1)»
On ne peut que louer l’initiative de ce type de démarche, qui de plus devrait trouver une place dans la nouvelle réglementation des constructions, la RE 2020. Toutefois, il faut tout de même remarquer que la grille d’analyse (rubrique indicateurs des FDES) reste complexe, réservée à la compréhension de quelques spécialistes. Pour les autres professionnels, les maîtrises d’ouvrages, sans parler des usagers, elle n'est qu'un tableau sibyllin, ce qui limite son appropriation. Cette démarche devrait pouvoir s’accompagner d’une réflexion sur les matériaux biosourcés (globalement moins polluants), leur production locale, leurs possibilité de mise en œuvre dans une architecture contemporaine, leur coût, leur réutilisation, etc.
SUITE :
(1) www.INIES.fr, consulté le 18/06/2019
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