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Bertrand Meunier / Tendance Floue, Série: Erased, Pékin, Chine, 2007.
Des pubs, des listes de numéros d'urgence, des promotions sur les pizzas, des propositions commerciales. Je n’ai jamais reçu d’autre courrier que des déchets, et de petites enveloppes en Kraft.
Sous le cachet, la lame du cutter reconnaissait l'écriture dynamique, élégante, inaltérée par le poids des années. Elle trouvait son chemin avec soin, en évitant la triple pliure du manuscrit, parfois accompagné d'un chèque, et de coupures de l’Express, de Télérama, ou du Point.
L’age, la douleur et la solitude rabattent les gens sur eux-même. Ma grand mère elle, repliait des lettres derrière les stores de son salon, un oeil bien ouvert sur le monde, en scrutant particulièrement là où sa progéniture mettait les pieds.
Chaque mois, elle m’adressait sa curiosité pour le métier que j’apprenais, ce qui avait retenu son attention parmi les publications architecturales du moment. Elle était particulièrement fascinée par ce qu’elle appelait «les nouvelles technologies», et qui semblaient être pour elle la voie, le futur de l’Architecture. Au fond, de tous les fantômes du XXe siècle, aucun ne lui avait volé sa foi pour cette forme de progrès.
«Les nouvelles technologies», toujours aussi plurielles que vagues, sorte de parti Socialiste de la construction, avaient fait leur entrée dans ma vie sans que j’en fasse grand cas.
Quelles forces étaient à l’œuvre derrière elles?
Personne à l’E.N.S.A.P.V.S (1) n’en parlait de toute façon. Non pas que ma grand mère ait-été la seule à être attentionnée, ou pire, que toutes les grand-mères l’eussent été mais que l’omerta empêchaient leur petits enfants de trop en dire. L’enseignement de l’architecture avait plutôt pour entreprise d’orchestrer les ronronnements égotistes de quelques ténors, caressés, applaudis par ceux qui les voulaient dans leur réseau, comme on traite des chats sacrés qui pissent et se battent dans un temple. Les propriétés supposément thaumaturges dont un ingénieur avait bien voulu doter telle vitre, ou telle brique, ça c’était pour le monde extérieur, celui des profanes.
En famille ou en terrasse, hors de notre bulle, chaque discussion sur le «métier» était hantée par ces produits inédits. Ils portaient en eux la promesse abstraite et engagée d’un monde débarrassé sans douleurs des erreurs productivistes du passé. Tout en rendant la Ville plus maligne, elles laveraient la terre de la pollution. Nous n’avions plus peur. L’eschatologie scientifique était proche. Et même si elle était trop complexe pour en comprendre le détail de fonctionnement, les solutions étaient dans l’air, prêtes, plurielles et vagues.
Et puis, année après année, vert et vertu sont devenu synonymes dans les perspectives à «pinner», ciel bleu obligatoire, blanc hygiénique, et vert écologique. L’architecture en elle même, ne semblait pas affectée par ces bouleversements, à l’exception de quelques greffes en toiture ou sur les façades, panneaux photovoltaïques ou serres. Voilà ce qu’étaient les «nouvelles technologies» ou nouveaux matériaux, des médicaments, des béquilles presque invisibles, pour corps non organiques.
L’implantation de protèses technologiques comme facteur d’évolution de l’architecture a pollué l’imaginaire populaire grâce à plus d’une décennies de communicants. Était-ce ainsi que se manifestait le progrès en architecture, sans que les architectes ne puissent se l’approprier?
Je n’ai jamais pris le temps de répondre à toutes ses lettres. Vu le ressenti de mon aïeule pour le service public, il me serait facile de m'abriter derrière une prétendu défaillance de la poste, pour lui adresser dans ce texte ma réponse à des années de monologue.
Les médias qui rythment son troisième âge ont fini par relayer les spasmes d'un dérèglement climatique désormais "en marche", tant et si bien que même une affirmation du genre "pas un jour ne passe sans que les nouvelles ne rapportent une catastrophe liée au climat, où les prévisions d’augmentation de la température globale même les plus optimistes laissent entrevoir un futur très sombre" devient un lieu commun.
Le sensationnalisme de la parution d'un rapport du GIEC, ou des larmes d'un ministre lors d'une COP, montrent que le dérèglement climatique désormais en marche à fini par s'imposer comme une routine ponctuelle dans le paysage médiatique et politique de certaines puissances mondiales .
Pourtant, les Etats, le Marché, ont déjà largement prouvés leurs incapacité à traiter drastiquement le problème. Sans pousser l’analyse outre mesure, l’échec des COP, l’augmentation de 25% (2) des émissions mondiales de dioxyde de carbone ces vingt dernières années n’incitent pas à «croire» trop ardemment dans une limitation de la hausse de la température sous le seuil des 2° en 2100, ce qui signifierai entre autres, une montée des eaux jusqu’à 87cm, et par voie de fait la déstabilisation de nombreux pays situés au niveau de la mer, etc., (selon le «Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C»), et d’aucuns croiraient que la France soit en meilleure posture que d’autres pays tels que la Chine, ils oublieraient que l’usine du monde contient dans les chiffres de ses émissions de GES une partie de notre pollution que nous avons délocalisée.
Parmi les conséquences probables et communes à tous les scénarios de réchauffement, des crises à venir, qu’elles soient climatiques ou énergétiques, impactant plus ou moins gravement les échanges commerciaux, humains. Notre économie nécessite de fonctionner en «flux tendus» pour éviter la pénurie. Si une pièce manque, c’est toute la mécanique qui s’arrête.
A titre d’exemple, si le carburant venait à manquer ou à devenir trop cher pendant quelques semaines, les grandes villes ne pourraient plus être approvisionnées, et en premier lieu, en nourriture. Plusieurs ouvrages de collapsologie (3) détaillent précisément la manière qu’ont les sociétés de réagir aux crises, on retiendra simplement que notre système est particulièrement fragile, et il conviendrait de le rendre plus résilient, notamment en rendant les villes plus indépendantes des échanges avec des territoires lointains.
La piste que j’explore ici tente de s’approprier la manière de changer de paradigme, de se responsabiliser, puisque les choses n’évoluent pas assez vite. Il a été calculé que juste après les transports, la filière du bâtiment est la plus grosse émettrice de CO2 en France (28% des émissions totales), et consomme a elle seule 45, 8% des énergies (4), soit presqu’autant que les transports et l’industrie réunis. Tous, nous avons plus d’impact dans notre travail que dans notre rapport à la consommation, parce que notre travail nous donne accès à des échelles dépassant notre individualité. Cela ne suffira pas, mais c’est pour l’instant une possibilité d’action envisageable, mobilisante pour un grand nombre de personnes, travaillant à réduire la pollution, et peut-être même, à se passer de certains échelons de pouvoir, génératrice d’imaginaire : une "Utopie réalisable". Et si pour chaque petite initiative réussie l’industrie déverse des centaines de tonnes de GES dans l’atmosphère, faisons le quand même. Vu notre impact, que les professionnels de la «Ville» prennent position, qu’ils aient au moins quelque chose de pertinent à dire dans cette affaire.
SUITE :
(1) Ecole Nationale Supérieure de Paris Val de Seine
(2) Dans le «marxiste» Le Figaro du 19/04/2019, Cohen, Claudia, «Climat: les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 55% en vingt ans», consulté sur lefigaro.fr le 07.07.2019
(3) Par exemple, Servigne, Pablo, Stevens, Raphael, «Comment tout peut s’effondrer», Editions Anthropocène Seuil, Paris
(4) www.enerzine.com/le-batiment-responsable-de-25-des-emission-de-co2/1437-2006-10 consulté le 16.06.2019
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