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  • Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Rapport «Roux-Dantec», quand les hyménoptères rejoignent les anarchistes : 2. Approche systémique


Paysage agricole de la vallée de la Drôme, Piégros-la-Clastre, photographie Philippe BENOIT

 

La première partie de cet article résume les analyses et propositions faites par le rapport du Sénat rebaptisé "Roux-Dantec" (1). Si ce texte possède de nombreuses qualités, il n'envisage cependant pas la question d'une réorganisation à l'échelle locale comme base systémique d'adaptation aux dérèglements climatiques.


L'un des angles mort du rapport, est d'égrainer problématiques et solutions, sans pour autant dégager une méthodologie capable de faire système. Peut-être parce que, dès l'analyse, les auteurs se sont limités à l'inventaire factuel des conséquences. Leur appel à la transdiciplinarité ne peut rester dans ce cadre qu'un voeu pieux.


Les nombreux courants de pensée écologiste ont pourtant largement défrichés ce terrain sur les plans théoriques, voire pratiques, depuis les années soixante-dix. Une tentative d'appropriation de ces idées pour en faire un axe structurant du raisonnement aurait permis de donner une assise idéologique plus large.


Il pourrait par exemple être intéressant de mettre en regard des propositions du rapport une vision de l’aménagement du territoire incluant un glissement du cadre institutionnel existant, par exemple, en s’inspirant des biorégions.


Ce principe d’organisation des paysages d'origine anarchiste a été théorisé et répandu dès les années soixante-dix par Judy Goldhaft et Peter Berg (2), repris plus récemment, entre autres, par l’italien Alberto Magnaghi (3). Pour un aperçu plus complet de la généalogie de ce mouvement, consulter l’article de Matthias Rollot sur metropolitiques.eu (4).


Je voudrais faire ici l'exercice d'en donner une interprétation personnelle. À savoir, la redéfinition de territoires d’abord et en fonction d’un paysage à l’intérieur duquel l’Humain a aménagé des systèmes de production (agricoles, matériels, urbains, industriels, naturels etc..) fonctionnant en symbiose avec son biotope.


L'aménagement d'un territoire, dans cette logique, est en premier lieu conditionné par la combinaison de sa géographie (au sens où le mot rassemble l’hydrographie, la topographie, la nature des sols etc..), son climat, sa faune et sa flore, ses capacités de production locale (agricole, industrielle basées sur les matières naturelles et biosourcées, et energétique). Les aménagements Humains sur ce lieu unique fonctionnent de manière circulaire, en incluant dans la boucle les conditions qui permettent la pérenité du vivant, pour former ce que l'on pourrait qualifier de "terroir".


Les mondes Humain et Naturel ne sont plus perçus comme deux antagonismes, mais comme un dégradé du plus artificiel au plus naturel, une continuité d’imbrications et de rapports d’interdépendances. Le jeu de ces nuances amène vers l’auto-suffisance en formant un écosystème local, le plus auto-géré possible, et connecté aux territoires voisins.


Les habitants qui entretiennent, connaissent et transmettent le paysage, en tant qu’utilisateur et spécialiste du site, sont impliqués dans le pouvoir décisionnel.

La pérennité des installations humaines et naturelles est garantie notamment par un développement économe en émission de GES des territoires.


En proposant une approche systémique basée sur les capacités physiques d’un lieu, ce raisonnement s’adapte aux réalités locales, tout en les rendant plus résilientes aux crises. Il inverse la logique structurelle verticale de l’Etat en conservant les decisions de gestion à l’échelon local, en laissant cependant la possibilité de collaborations transcalaires (inter-échelles) plus larges entre les territoires.


Cette idée englobe la plupart des propositions faites par le rapport, mais en leur donnant un système d’application cohérent, transversalement interdisciplinaire (point dont le rapport souligne l’importance pour parvenir aux objectifs d’adaptation) : penser l’aménagement du territoire par «terroirs».


BENOIT, Philippe, schéma volontairement simplifié des rapports d'indépendances paysagers historiques, dans le haut-Médoc, tels que nous en avons hérité (c'est à dire tel qu'ils étaient pour former le paysage que nous connaissons). Sur ce territoire plat, les principales perturbations météorologiques viennent de l'ouest. La forêt et les dunes protègent les habitations du vent et des tempêtes (1). La plupart des façades sont ne possèdent aucun percement sur cette orientation pour préserver l'architecture des déboires du temps. L'élevage (2) assure la continuité écologique de la forêt par des bocages, quand il n'est pas directement réalisé à l'intérieur de cette dernière (entretien des bois par les animaux).Le bois des forêts est utilisé comme matériau de construction des charpentes (3). Le paysage est également marqué par la culture de la vigne à l'Est. Le commerce du vin (5) avec les régions voisines a historiquement pourvu le territoire en pierres de constructions(`8), que les bateaux ramenaient comme ballastes (7) qu'ils abandonnaient lorsqu'ils se chargeaient en tonneaux (6). Dessin au feutre, Médoc, 2019

 

Prenons un cas concret dans le rapport pour comprendre pourquoi il ne peut être pensé que dans un cadre opérationel d'interdépendances locales: l'exemple de l’agroécologie.


Cette forme d'agriculture, que le dossier sénatorial dépeint comme «partie de la solution pour éviter la catastrophe» (1) présente effectivement de nombreux atoûts pour contribuer à une adaptation d'échelle nationale aux dérèglements climatiques. Néanmoins, il faut considérer non seulement la potentialité écologique, mais également les résultats qu'une mise en oeuvre à grande échelle produirait à un degré local, spatialement, socialement et économiquement.


L’agroécologie permet d’abord de «maintenir l’indépendance alimentaire» pour ne pas faire peser «une part croissante de production agricole sur des pays moins biens dotés que la France en sols fertiles et en eaux» (1), et donc participer à la réduction des crises de migrations climatiques.


Ce changement limite les émissions de GES internationales liées au transport des denrées, et assure la résilience alimentaire des territoires en cas de crise (énergétique, climatique, économique). Cette logique participe à la prévention de potentiels conflits avec d’autres états dépendants des ressources produites en France.


C'est, par ailleurs, une source d’emplois majeure pour les territoires ruraux délaissés. Elle produit un rendement équivalent à l’agriculture conventionnelle, mais sur de plus petites parcelles, moins mécanisées, donc employant plus de personnes.


Cependant, à la différence de l'agriculture industrielle, elle ne peut pas être pensée "hors sol", uniformément sur tout le territoire, car elle prend autant de formes qu'il existe de climats, de sols (etc.). Elle doit, pour servir ses objectifs, être pensée au cas par cas, en fonction de la diversité de ces derniers, de leurs différents pourcentages d’urbanité, de ruralité, d’espaces naturels (disons «milieu environnant» pour renvoyer à Magnaghi (3)).


Pour ce faire, il faut, je crois, comprendre le monde agricole comme faisant partie d’un ensemble incluant des espaces de production, de consommation, d’échanges à l’échelle du «terroir». Ce système existe déjà, ou plus vraisemblablement a déjà existé dans le maillage territorial ancien, résultante de milliers d'années d'adaptations empiriques aux paysages.

(cf. exemple du schéma)


Il n’est plus utilisé de la sorte aujourd’hui, mais il possède déjà intrinsèquement les capacités de support de l’aménagement par terroirs. En profitant du relief, du climat, il forme un vaste réseau de hameaux et de bourgs pensés pour connecter des productions locales (agricoles, sylvicoles, énergétiques, etc.) à une réalité géographique, dont les flux de production sont ensuite liés à un ensemble de petites centralités, elles-mêmes liées à des métropoles etc, organisant le réseau national des entités locales de terroir.


La compréhension de ce maillage est essentiel pour penser l’agroécologie de manière efficace, et l’inscrire dans une démarche transversale de réduction des GES, «stockage du carbone, le maintien de surfaces non imperméabilisées, le maintien de continuités écologiques et l’entretien des paysages».


Suite :


 

(1) Dantec, Ronan, Roux, Jean-Yves «Rapport d’information fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050, par MM. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux, Sénateurs», Sénat, 2019, www.senat.fr/notice-rapport/2018/r18-511-notice.html


(2) Goldhaft, Judy, Berg, Peter, parents du biorégionalisme et de l'association planet drum, qui promeut le mouvement depuis 1973, www.planetdrum.org


(3) Magnaghi, Alberto, "La biorégion urbaine, petit traité sur le territoire comme bien commun", Eterotopia France / Rhizome, 2014, Paris


(4) Rollot, Mathias, "Aux origines de la « biorégion »,DES BIORÉGIONALISTES AMÉRICAINS AUX TERRITORIALISTES ITALIENS", octobre 2018 sur www.metropolitiques.eu. L'auteur donne par sa vision du biorégionalisme dans "Les territoires du vivant, un manifeste biorégionaliste", éditions François Bourin, 2019




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