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  • Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Sortir de terre : Le paysage a modelé l'habitat des sociétés pré-industrielles

Vidal-Lablache, P., "France relief du sol"

 

Octobre reste pour moi associé à la morosité des retours à l'école primaire. Des heures passées à ne pas suivre, le regard perdu dans la carte de France à droite du tableau. Elle est là, dans toutes les salles de classe de toutes les régions à toutes les époques.


Elle est comme la porte ouverte d'un train. Un voyage mental pour tromper l'ennui. Qui, ne s'est jamais laissé tourner autour des taches bistres (marron) du massif central, glisser le long des fleuves sur le vert des plaines, jusqu'au bleu de ses dernières vacances?


Scruter comment la Basse Normandie s'étire dans la manche comme un escargot, la pince de crabe granitique de la côte granitique bretonne, la Méditerranée qui mord la côte en faisant un golfe chaleureux, la langue fourchue du Rhône encerclant la Camargue, la petite pointe des Ardennes piquant la Belgique molle. Je l'aime bien aussi cette carte parce que les frontières  y sont moins importantes que les fleuves. 


Parfois elle est complétée par les productions agricoles, mettant sur le même plan géographie et alimentation. La combinaison de ces deux facteurs implique sans les nommer, les différents climats et la géologie des sols, un rapport déterminant pour la morphologie des villages.


J'ai mis du temps à le comprendre, mais, si "la géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre" (1), ça sert aussi à expliquer par cette équation très simple :

climat + type de sol = agriculture = type d'implantation de ville primitive = diversité


Je m'explique.


Il n'échappe à personne que l'habitat rural traditionnel prend des formes très diverses sur le territoire français. Parfois même à très faible distance géographique. Cette variété s'explique par différents facteurs.


La proximité de tel ou tel matériau de construction, ou, bien plus encore, la distance d'une source de production, amorce un élément de réponse.


Quand l'énergie utilisée pour le transport coute cher (comme c'était le cas avant l'utilisation d'énergies fossiles), et quand la météo fait varier le temps nécessaire pour parcourir une distance, il est essentiel de s'approvisionner au plus près pour tout ce qui est lourd et encombrant (des poutres par exemple)*.


Ces variations culturelles liées à la distance se retrouvaient également dans les "patois" locaux. Fernand Braudel rapporte par exemple que des habitants de villages voisins pouvaient avoir des difficultés à se comprendre (2), avant que le français du bassin parisien ne soit imposé à tous.


BENOIT, Philippe, à droite Grand-Vabre, à gauche Marcillac, Aveyron, 27km, deux univers architecturaux, photographies

 

Outre ces considérations linguistiques, prenez par exemple la route de Rodez dans l'Aveyron, entre Grand-Vabre et Marcillac. Elle débute dans une sorte d'estampe chinoise. Le Lot y tranche la frontière sud de l'Auvergne en grandes falaises de pierres sombres, recouvertes de châtaigners et de sources. Les constructions sont en basalte, des murs épais aux toitures à demi-croupe si caractéristiques. Elles m'évoquent toujours (je ne sais pas pourquoi) les mystères de l'obscurantisme moyenâgeux, des maisons de sorcières.


Le Dourdou, serpente à côté du chemin, et fait une tache d'ocre en rejoignant le Lot à Grand-Vabre. Parmi les collines, on passe au pied de la sublime Conques, avant d'arriver sur un plateau à l'entrée de Saint-Cyprien. L'espace s'ouvre. Quelques kilomètres plus au sud, on entre dans Marcillac, où les façades de grès rouge sang tranchent sur le vert des collines. 27 km, deux univers architecturaux très différents.


À mesure que les distance s'accroissent, c'est toute la morphologie des villes qui changent pour s'adapter au climat d'une part (ce qui fera l'objet d'un autre article), et d'autre part, à la nature des sols.


Car, il existe un lien fondateur entre villes / villages et agriculture, une attache indivisible aux paysages, aux espaces naturels autant que productifs qu'il est intéressant de noter, à l'heure où se posent les questions d'agriculture urbaines, de ruralité, de périurbanité, et de circuits courts pour favoriser une approche écologique.


L'emplacement des villages est en premier lieu fréquement déterminé par la présence de sources. Le dessin de leurs parcelles (urbaines et agricoles), est le plus souvent perpendiculaire à la ligne de pente la plus forte (par conséquent dépendant de la topographie).

En second lieu, la nature du sous-sol détermine le type d'agriculture possible.


Benoit, Philippe, exemple schématique d'un village "dispersé" breton, dessin au feutre, 2019

 

Les "bonnes terres" permettent la culture de céréales, ou maraichère en plein champ, alors que les sols plus pauvres sont traditionnellement réservés à l'élevage comme utilisation principale.


La traite des animaux, activité longue et pénible, répétée matin et soir, demande aux paysans d'être au plus près de leur bétail, pour gagner du temps. Il en résulte un besoin important d'espace de production dans l'environnement direct des habitations. Les villages sur ce type de sol espacent considérablement leurs maisons, c'est ce que l'on appelle de "l'habitat dispersé" (2). On pense par exemple aux villages de Centre Bretagne.


Benoit, Philippe, exemple schématique d'un village "regroupé" lorrain avec sa rue principale communautaire, dessin au feutre, 2019

 

À l'inverse, les sols fertiles des plaines céréalières en "openfield" ou ("champagne" en français, à ne pas confondre avec la région du même nom), liées à la pratique de l'assolement triénal, sont davantage propices aux bourgs concentrés, comme en Brie ou en Lorraine (2). Ils prennent souvent la forme de "villages rues".


Les habitats groupés s'allongent parfois de la sorte pour se rapprocher de différente couches géologiques de leur territoire, et par conséquent, diversifier les types de cultures produites et tendre vers l'autosuffisance (3). Certaines strates étant en effet plus propices à certaines cultures, comme le couple "étage turonien/vigne" (3).

Cependant, cette typologie de villages diffère selon les territoires, en fonction de leur utilisation de l'espace publique. En Lorraine par exemple, la rue centrale est aménagée à la manière d'une cour de ferme, un espace de travail et de stockage à l'usage de tous.


Habitats groupés et dispersés se conjuguent parfois sur des entités de territoire réduites. Hors des plaines, dans les paysages escarpés, les villages se regroupent d'autant plus qu'ils économisent les rares terres cultivables. Dès que les terres deviennent trop pierreuses, trop pentues, ou trop arides, l'Humain les utilise comme pâturage, et l'on retrouve des typologies d'implantation dispersées.


Il y a dans ces endroits une gradation de l'espace de production, avec les fruitiers au plus proche des villages, puis les productions maraichères, et enfin les zones d'élevage (2).


Benoit, Philippe, dessin du centre ville d'Epernon, dans la Beauce, quand les villages regroupés deviennent de petites villes, dessin au feutre, 2019

 

Il existe des sous-catégories au sein même de cette classification, si l'on porte attention aux types d'espèces élevées et aux différents végétaux produits. Par exemple, le mas provençal lié à des sols très secs et donc à l'élevage ovin / caprin est très différent d'un village breton produisant lait de vache et cochons.


Dans le premier cas, le mas isolé est lié à des habitats regroupés, situés à distance et profitant des sols plus riches, alors que dans le second, le hameau breton est sa propre centralité, avec son église, sa petite place avec quelques commerces.


Ces données participent largement à insufler aux villages et hameaux leur morphologie première et sont donc primordiales pour en comprendre le rapport au paysage qu'elles entretiennent.

Le "déterminisme" (4) géographique (le lien entre géographie/formes des villages), ne doit cependant pas faire oublier que d'autres facteurs (historiques, culturels, etc.) jouent également un rôle prépondérant.


Article connexe :

 

(1) Lacoste, Yves, "la géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre", La découverte/ Poche, Paris,1976

(2) Braudel, Fernand, "L'identité de la France, espace et histoire", éditions Flammarion, Paris, 1990

(3) cf. Pinon, Pierre, "La dimension géologique de l'architecture rurale en Bourgogne et ses limites", conférence donné à la cité de l'architecture et du patrimoine, 2012, disponible sur youtube.com

(4) cf. Pinon, Pierre, "Les types de l'architecture rurale en relation avec le paysage et l'histoire", conférence donné à la cité de l'architecture et du patrimoine, 2012, disponible sur youtube.com 

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