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  • Photo du rédacteurPhilippe BENOIT

Récupérer le progrès : 6. Le tissu des champs

Dernière mise à jour : 8 nov. 2019


Lolli, Eugenia, titre inconnu, collage, www.2tout2rien.fr

 

Il me semble que nous sommes à la jonction entre deux temps de changements aussi brutaux que rapides, dans un grand mouvement de transformation. Le bilan de la période précédente est complexe, et rend toute projection difficile. Citation hasardeuse , j'ai récement entendu quelqu'un dire que nos parents allaient vers un but, alors que nous fuyons pour ne pas être happés. Happés par le déclassement, les crises, passées, présentes et futures.


Elles sont économiques, démocratiques, et surtout, climatiques et écologiques. Leur possibilité change notre regard sur le monde bâti par le XXe siècle : elle le rende fragile, friable. Comme abordé dans l’introduction, le caractère «tendu» des échanges économiques interdit tout ralentissement, sous peine d’effondrement. Ces interactions globalisées sont précisément l’une des causes des émissions de GES et autres pollutions.


Le problème semble être un système à la fois polluant et fragilisant, auquel il convient d'apporter une réponse tout aussi systémique, en pensant la connexion entre toutes les échelles, du territoire au bâtiment, pour en tirer l’efficacité maximum. La transformation de notre rapport à la consommation d’énergie, et par voie de fait, à la croissance, la colonne vertébrale de nos sociétés, représente l’occasion de résoudre d’autres problématiques laissées en héritage par le XXe siècle, à travers le réaménagement global du territoire.


Aménageurs du territoire, urbanistes, architectes, n’ont bien sûr pas la possibilité à eux seuls de trancher le nœud Gordien. C'est d'ailleurs une des difficulté de cette affaire : la crise climatique touchant tous les aspects de notre monde, aucun individu, aucun corps de métier ne peut prétendre la résioudre simplement. Tous cependant peuvent y contribuer quotidiennement en repensant leur approche professionnelle.


Les balbutiements de solutions que nous pouvons d’ores et déjà expérimenter nous montrent les écueils à éviter. Aussi, comment décarboner la ville, le «Bâtiment», en conservant un niveau de «convivialité technologique» suffisamment bas pour qu’elle soit appropriable par le plus grand nombre, et que par la même elle augmente son efficience en sortant, du moins en partie, du système mondialisé de l’industrie?



L'archipel de Gray et des villages qui l'entourent. Ont été superposés: l'emprise urbaine au début de la révolution industrielle, ainsi que celle des forêts, des principales voies de communication à cette époque et l'urbanisation recente.

Cette carte illustre la rémanence du rapport entre un paysage productif composé de champs et de forêts, sa géographie (on peut par exemple lire la présence du relief dans le tracé des routes), une centralité (Gray, "l'île centrale"), son archipel, et des paysages plus lointains que l'on devine au bout des routes. Carte réalisée par Philippe BENOIT.

 

L’humanité s’est construite jusqu’au milieu du XIXe siècle sans l’aide d’une consommation massive de charbon, et avant le milieu du XXe siècle, sans celle du pétrole. L’idée cependant n’est pas de tomber d’accord avec les Hamish, ou les conservateurs de tout acabit, en mythifiant un passé, en revendiquant un niveau de référence technologique, ou sociétal.


Dans le domaine de la construction, nous disposons d’un héritage immense en termes de constructions biosourcées, adaptées aux climats de leur régions. Il a été quelque peu délaissé ces dernières décennies, pour laisser place à l’architecture internationalisée, parce que nous le pouvions, parce qu’elle correspondait à un mode d’organisation sociétal. Aujourd’hui nous ne pouvons plus, ou tout au moins, plus tout à fait.

De la même manière, le territoire français s’est construit sur la continuité villes/campagnes durant des siècles, en se basant sur une relation locale à la production agricole (ce qui n'exclut pas des échanges plus lointains). Ce maillage, bien qu’abîmé, mité par le tissu pavillonnaire et les zones commerciales, existe encore, et pourrait être réactivé.


En tirant les leçons de siècles d’aménagements populaires pour comprendre ce qu’ils ont d’intelligent, en intégrant qu’ils ont été pensés dans un système de production différent, pour des mœurs et des usages différents, nous pouvons les utiliser pour construire un monde prêt à répondre aux crises à venir.


Le maillage urbain fonctionnait jusque récemment comme un océan de campagnes productives/peuplées, constellé par un archipel de villes moyennes dynamiques, et par conséquent pourrait à nouveau reprendre cette voie, ce qui permettrait de poser la base d’une pensée structurelle.

La perte d’attractivité du monde rural a bien évidemment été amorcée par l’essor des engins de culture dans les années 60, comme le tracteur, facilité par les effets de la loi de remembrement des parcelles agricoles de 1941...



Brunet, Pierre, "Les paysages ruraux au milieu du XXe siècle", in "l'atlas des paysages ruraux de France, ed. Jean Pierre de Monza

 

Les grosses exploitations agricoles mécanisées sont peu à peu devenues la norme, employant de moins en moins d’ouvriers. Elles vont de pair avec la généralisation à partir des années 80 d’un nouveau mode de consommation des produits alimentaires «via» les supermarchés, d’abord au plan national, puis international. Ces changements ont rapidement étouffés le tissu économique local, et conduit les populations rurales vers de nouveaux emplois en ville.


A titre d’exemple, une commune proche du village de mes parents comptait en 1950 pas moins de sept cafés, plus des petits commerces, etc. En perdant les emplois d’ouvriers agricoles, le village est entré dans un phénomène de perte d’attractivité, provoquant par la suite la fermeture de tous les commerces. Il est aujourd’hui habité par des cadres supérieurs travaillant à plusieurs dizaines de kilomètres de distance, et ne fréquentant que leur maison.


Ainsi, l’industrie et l’agriculture ont connu des chutes du nombre d’emploi de respectivement 43% et 60% entre 1980 et 2017, passant ainsi d’1,88 million d’emplois pour le monde agricole à 750 000 (1).


Ne pourrait-on pas envisager de renverser le mécanisme?

Recréer des emplois dans une agriculture plus écologique et moins mécanisée, capable d’un rendement à l’hectare identique voire meilleur que l’agriculture extensive, mais nécessitant plus de main d’œuvre, serait un début. Le différentiel des prix de la nourriture serait compensé par un changement des habitudes alimentaires, une baisse des coûts liés au transport, la diminution des intermédiaires de la grande distribution.


Cette première étape régénérerait des territoires aujourd’hui en désespérance, tout en impulsant une dynamique répondant à de nombreux problèmes: la relocalisation de l'emploi dans le monde rural raccourcirai les trajets domicile-travail, une économie significative sur le budget accordé aux transports par les ménages. La pollution liée au transport de marchandises, au transport de personnes, et à la création de super-infrastructures qui balafrent des paysages entiers de béton seraient également réduite drastiquement.


L’exode urbain dédensifierait les métropoles, en faisant chuter drastiquement les prix des loyers. La baisse du foncier ouvrirait la voie à de nouvelles possibilités pour les villes, comme réfléchir à une agriculture urbaine efficace. Par ailleurs, de faibles loyers permettrait peut-être aux villes de redevenir une terre d’accueil pour les artistes, qui ont joués un rôle considérable dans son rayonnement au siècle dernier.

Dans le sillage de l’agriculture, tout un tissu de filières pourrait apparaître dans les campagnes du fait de leur densité retrouvée, entre autres, celle du bâtiment, participant à régénérer le maillage territorial ancien, utilisé de façon contemporaine.


SUITE :

 

(1) Gadrey, jean, «Réconcilier l’industrie et la nature», Le Monde Diplomatique n°784, Juillet 2019

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